jeudi, août 17, 2006

Marie 74

Bonjour
Je viens de visiter votre site "souvenirs-souvenirs", aussi j'aimerais vous faire part de quelques souvenirs d'enfance qui me sont "revenus" en débutant votre dernier livre "Ces souvenirs qui nous gouvernent". Si vous les trouvez intéressants, s'ils peuvent aider quelqu'un à se souvenir à son tour, je vous remercie de les publier dans votre blog.
Marie

Le plus lointain
Je devais avoir 4 ans. Ma mère gardait le fils d'une voisine. Mon frère, qui avait 9 ans de plus que moi me donnait des ordres, m'incitait à aller voir ce jeune garçon qui devait avoir 11 ans je crois et à le réveiller alors qu'il dormait, à force de petites claques et de pincements. Évidemment, l'enfant s'est mis à pleurer. Ma mère était fâchée, je crois me rappeler qu'elle nous a grondés.
Mais ce que je retiens de ce souvenir c'est d'avoir fait du mal à quelqu'un, de l'avoir fait pleurer. Peut-être est-ce l'une des raisons qui font qu'aujourd'hui je suis habitée par un grand sentiment de culpabilité…
Un autre souvenir, à la même époque, est celui de mon frère qui grillait les mouches au soleil avec sa loupe. J'ai toujours trouvé ça dégoûtant et cruel.

Celui que je refoule et qui revient, de temps en temps
J'ai 8 ans je crois. Je suis en vacances chez mon oncle et ma tante (où je passe habituellement toutes mes vacances). Je joue souvent avec Elisabeth, plus âgée que moi (entre 12 et 14 ans je crois). Elle vient me voir, nous nous amusons dans le jardin. Elle invente souvent des jeux. Elle m'impressionne car elle est plus grande, elle sait plus de choses, je la suis, je l'écoute, je suis docile (et très timide).

Un jour, Elisabeth décide d'un nouveau jeu. Un jeu du "papa et de la maman" amélioré si on peut dire. Elle prévoit une petite scène que nous devrons jouer toutes les deux. Elle m'explique que nous sommes un couple qui se retrouve le soir, un couple heureux de se retrouver… il n'y a pas vraiment de scénario, juste quelques directives (on se prend dans les bras, on s'embrasse…). Nous commençons dans les rôles de la femme pour moi et de l'homme pour elle. Ensuite il faudra intervertir les rôles me dit-elle.

Je suis dans la chambre. Je suis la femme qui attend le retour de son homme qui rentre du travail. Elisabeth arrive. Elle ouvre la porte. Me prend dans ses bras et m'embrasse tout de suite, sur la bouche. Je suis troublée, je deviens toute rouge. Elle en est consciente. Je ne suis pas au bout de mes surprises. Elle me parle comme un homme parlerait à l'amour de sa vie : "oh ma chérie, comme tu m'as manqué. Je suis content de te retrouver ce soir, de te serrer contre moi, viens là …. ". Elle me demande de m'allonger sur le lit, me caresse, ôte ma culotte (je me souviens encore de quelle culotte il s'agit, sa texture et sa couleur), embrasse mon sexe, le lèche. Je suis très mal à l'aise, et encore aujourd'hui en écrivant ceci. Mais en même temps, je découvre le plaisir (allié à une culpabilité certaine).

Il faut songer à échanger les rôles. Ça n'a pas duré très longtemps, pas assez à mon goût, et à vrai dire, je n'ai pas envie de "faire l'homme". Mais Elisabeth a "rempli sa part du contrat" et je m'exécute à mon tour. Je suis gênée, rouge de honte, et surtout dégoûtée. Ça ne me plait pas de faire "ça". Je n'y prends pas de plaisir, je ne trouve pas cela agréable. Je me force. Je me dis que c'est comme ça, qu'elle l'a fait aussi.

Ce souvenir revient me hanter de temps en temps et j'ai toujours ce sentiment de culpabilité. Ma famille est catholique pratiquante, il est donc facile de deviner de quelle manière j'ai été éduquée. Oui, je me suis sentie honteuse et coupable. Et encore aujourd'hui j'y pense.

Le plus douloureux
Mars 1978.J'ai 12 ans. Je rentre du collège pour déjeuner chez moi comme tous les midis. Ma mère m'apprend que mon oncle (chez qui je passais mes vacances, cf. plus haut) a eu un accident de voiture très grave. Qu'il va très mal. Et qu'elle part cet après midi même pour rejoindre ma tante (qui habite à 300 km de chez nous) et être près d'elle. Je suis très triste. J'aime beaucoup mon Oncle E. qui, je dois le préciser, fait office de père pour moi car mon père, bien que très présent physiquement, ne me montre pas beaucoup d'affection. Avec mon oncle E. je ris, je m'amuse, j'ai l'impression d'exister.

En rentrant, j'apprends par mon père, mon frère et ma sœur que mon oncle est décédé des suites de ses blessures. Quelque chose se brise en moi, je suis anéantie. Le soir même, nous regardons tous les 4 le journal télévisé et à ma grande stupeur, le présentateur parle du décès de mon oncle. Il explique que ce directeur d'entreprise n'a pas supporté les grèves des ouvriers dans son usine, et que dépressif et n'ayant pas le pouvoir de décision quant aux demandes de ses employés, il avait mis fin à ses jours en se pendant sur son lieu de travail. Déjà très secouée, je reçois une grosse gifle. Je regarde mon père, ma sœur, mon frère et je dis : "mais ça veut dire quoi, ça ? ". On me répond (je ne sais plus lequel des 3) : "tu sais les journalistes ne racontent pas toujours la vérité. Il a eu un accident de voiture, tu sais bien, on te l'a dit". Je me tais. Je suis timide, renfermée. Je ne proteste pas. Et de toute façon je ne suis pas sûre de tout comprendre. Je suis naïve, je fais confiance à la réponse qui m'a été donnée et pourtant, cette photo de mon oncle sur l'écran de la télévision, la voix du journaliste, pourquoi avoir inventé cela. J'essaie de refouler, j'ai peur et j'ai mal. J'ai beaucoup de mal à dormir. Je pense à mon oncle E. qui n'est plus là, qui ne me fera plus rire, je me sens vide et tellement triste.

Quelques jours plus tard, nous arrivons chez ma tante pour assister à l'enterrement. Tout le monde pleure, murmure et chuchote. Ma tante est courageuse. Je ne me souviens plus si j'ai vu mon cousin qui avait 5 ans. Je crois qu'il est resté chez une sœur de son père. J'ai mal aussi pour lui. La cérémonie est pénible, je voudrais partir, c'est vraiment horrible. Pour aller au cimetière, c'est un frère de ma mère qui m'emmène dans sa voiture. Gentil, mais très curieux et un peu cancanier… je pleure à chaudes larmes. Il me dit "allez, ça va aller. Qu'est ce que tu en penses toi de tout ça ?". Je réponds entre deux sanglots : "j'sais pas. Ils ont dit à la télé qu'il s'était suicidé". Et là il me répond : "Ben c'est vrai". Nouveau coup dur, nouvelle souffrance. Pourquoi ma mère m'a menti ? Pourquoi m'ont-ils tous menti ? Je me sens trahie et encore plus triste de tout ce gâchis. On a estimé que je n'étais pas "digne" de connaître la vérité. Je suis en colère mais je me tais. Comme d'habitude.

Ce souvenir est encore douloureux aujourd'hui. Je pense souvent à mon oncle et il me manque autant que mon papa décédé il y a 5 ans d'un cancer du poumon. Parce qu'il m'avait donné de la tendresse et de l'attention. Parce que pense qu'il me comprenait. Parce qu'il s'intéressait à moi.
Aujourd'hui, je me sens encore comme cette fillette de 12 ans, souvent mise à part. après 15 ans de mariage pendant lesquels j'ai subi plus qu'agi dans ma vie, j'ai fini par divorcer. Je vis seule avec mes deux enfants. Je suis de plus en plus seule. J'essaie de comprendre pourquoi je n'ai pas d'amis, pourquoi je suis comme ça.
J'ai lu votre livre "comment je me suis débarrassé de moi-même", je viens de commencer "ces souvenirs qui nous gouvernent", j'espère y trouver quelques réponses. Mon problème c'est que je comprends les choses, mais je ne sais pas comment les faire changer. Merci à vous de m'avoir lue jusqu'au bout.