vendredi, avril 14, 2006

Joel

Bonjour,

Je scrute régulièrement votre blog "souvenirs-souvenirs". Cela me donne envie d'y apporter ma contribution. J'ai choisis de puiser dans mes souvenirs agréables pour tenter d'équilibrer les terribles témoignages présentés.

« POUR CHANGER DE MONDE, IL SUFFIT DE CHANGER DE REGARD »

J’avais peut être cinq ans.
A cette époque nous nous rendions souvent en visite chez mon oncle qui tenait une exploitation agricole. Sa ferme était perdue au cœur de la montagne. Mes parents n’étaient pas motorisés, ces visites prenaient des allures d’expédition.
Nous passions ces journées avec mes cousins et cousines en explorations fantastiques : il y avait la grange à foin, immense comme une cathédrale ; des machines agricoles aux mécanismes complexes et surtout, il y avaient ces courses poursuites entre les boqueteaux de noisetiers avec la douce jument comtoise.

Nous repartions à la nuit. La route était longue, j’étai épuisé et mon père me prenait sur ses épaules. Alors, de sa foulée souple et puissante, il laissait en arrière le reste de la famille et m’emmenait au travers de chemins connus de lui seul. Dans cette nuit bruissante, j’étais terrifié : des branches me frappaient le visage (mais était ce bien des branches ?), nous tombions parfois nez à museau avec une vache égarée qui partait au triple galop….

La voix de mon père s’élevait : « il faut venir ici, dans cette clairière au plus fort de l’hiver, en ce point unique de la région, tu découvriras toute la chaîne des Alpes ; là, se trouve le grand hêtre roux, à l’automne, c’est un flamboiement et si tu sais être patient, tu pourras surprendre le jeu des jeunes chevreuils. Regarde le ciel, à l’horizon, l’étoile du berger se couche et Orion se déploie, ce ciel est fait de mondes que nous ne soupçonnons pas. Choisis une étoile, elle te guidera toujours… »
De cette obscurité, mon père faisait jaillir la lumière, de cette terreur, une poésie et un espoir….

Aujourd’hui, la vie est passée par là. Je ne compte plus les sales coups, les coups durs et les coups tordus. Je suis tout couturé de cicatrices, il y a des plaies ouvertes et je sais que certaines ne se refermeront jamais….Mais, lorsque la pression se fait trop forte, et qu’approche la limite de rupture, je repense à mon étoile. Elle me relie à cet enseignement initiatique. Elle me dit qu’il faut lâcher prise, regarder les choses autrement et qu’il suffit de changer d’angle pour la distinguer la joie qui se profile à coté de la douleur et que parfois, sur une immense peine peut naître un nouveau bonheur.

Joël

mercredi, avril 12, 2006

Isabelle

bonjour,
je suis issue d'une famille "bourgeoise" et protestante ; d'une famille nombreuse (je suis la sixième d'une fratrie de 6 enfants) ; un père très sévère, militaire de carrière, lui même pleins de frustations (je suppose) et une mère "poule", ayant reçu une éducation du 19e siècle. Le couple que formait mes parents ne laissait paraître aucune tendresse : Un mari autoritaire et une épouse à son service. Tout était "managé", à la baguette ; Lorsque mon père était au travail (médecin), c'était la liberté, à la maison ; dès qu'il était de retour, on entendait les mouches voler ! Nous avions tous très peur du père. Les enfants restaient dans leurs chambres, ou partaient chez leurs copains. L'entrée dans la vie professionnelle (et dans la vie tout court) a été difficile pour moi ; Infirmière, j'ai commençé à faire du libéral ; j'avais trop peur des médecins...Puis, la soif d'apprendre et d'être au contact d'une équipe m'a permis de rejoindre une structure hospitalière. Quelle épreuve ! Parrallèlement, je m'installais avec mon compagnon (j'avais alors 24 ans) et je mettais mon fils ainé au monde ; beaucoup de choses à gérer, et ce n'était pas toujours facile ; mon compagnon, issu d'une famille paysanne (et un père suicidé lorsqu'il avait 14 ans), voulait vivre du spectacle ; ce qui veut dire, toujours beaucoup de monde à la maison (envahissement permanent !), des répétitions de spectacles à toute heure du jour et de la nuit, ainsi que des départs ou des retours de spectacles ; pas de revenus (sauf le mien) ; Inconsciemment, j'ai reproduis l'image maternelle : gérer le côté domestique, les enfants (au nombre de 3 maintenant), Et bien sûr, une disponibilité physique, n'osant pas refuser, même si j'étais pleine d'amertume ; et lorsqu'enfin, j'ai osé de temps à autre refuser, j'avais un mur en face de moi, qui boudait pendant 3 jours, jusqu'à que je cède à nouveau pour avoir la paix ! Amertume, parce que jamais un merci, un mot de reconnaissance ou une attention particulière à mon égard. Notre couple n'a pas été construit sur un projet commun, mais avec toute notre énergie mise à la disposition de la réussite professionnelle de mon compagnon. J'ai même arrêté mon métier pendant plus de 4 ans, pour être encore plus disponible pour lui ; j'ai également fait une autre formation pendant 2 ans et passer un autre diplôme (ce qui m'a demandé énormément d'énergie, et fait vivre beaucoup d'humiliation) pour l'aider à concrétiser ses projets (qui n'aboutiront pas d'ailleurs !!!) Maintenant, j'ai repris mon métier à l'hôpital, non sans mal...Et mon mari a vécu une belle période de dépression ; son avenir professionnel étant plus qu'incertain.
Aujourd'hui, j'ai 41 ans ; nous nous sommes mariés pour pouvoir devenir propriétaire d'une belle propriété ( il y a 7 ans), afin que mon mari puisse aboutir à son projet de construction d'un bâtiment professionnel. Mais que reste-t-il entre nous ? Voilà plus d'un an que nous n'avons plus de vie sexuelle ; je ne supporte plus qu'il vienne me toucher. Je ne supporte plus notre relation ; il n'y a pas de communication entre nous ; nous ne savons pas parler de nos attentes, de nos envies, de nos sentiments, de notre vie, de l'éducation que nous avons envie d'apporter à nos enfants ; j'ai le sentiment que nous n'avons rien à nous dire ou plutôt que si je n'avance pas mes pensées, mon mari est incapable de formuler les siennes..
Nous vivons sous le même toit, point ; Chaque jour qui passe est un jour de plus pendant lequel les enfants ont leurs 2 parents ensemble.
Quand aurai-je la force de tourner la page ? J'ai tellement mis d'énergie à construire cette vie que j'ai l'impression de ne plus en avoir pour en construire une nouvelle. Pour l'instant, je n'ai que l'espoir, qu'un jour, j'aurai à nouveau l'envie d'aimer, de rire, de partager, de donner et de recevoir (sans réclamer ou sans attendre), de me laisser aller à l'ivresse du plaisir physique, sans culpabiliser ou sans sentiment de honte mais avec un autre homme.
Isabelle