mercredi, février 04, 2009

Anne (second témoignage)

Cher Monsieur,
Je me félicite que la publication de mon témoignage n'ait eu lieu que ce mardi matin. Un stress intense s'est emparé de moi lorsque j'en ai pris connaissance. Je rencontrais mon thérapeute le soir avec immense soulagement.
Mélange de parole libérée, parole à libérer, je suis parvenue à faire état de mes actes récents, de la lecture à l'écriture. J'ai pu m'approprier et m'exposer avec les mots d'A. Pulvar, les vôtres, les miens propres, ceux de mes réussites les plus récentes et les plus intimes. Beaucoup de "prise de risque" (sans risque, vous vous en doutez, mais ça, c'est l'avis que je vous prête sans pour autant être personnellement convaincue encore de sa véracité à cent pour cent), immense sanglot, ou souffle court, mais le cran d'avancer, d'écraser mes interdits, naviguant à vue en terrain métastable.
Je suis sortie étourdie, grisée. Puis apaisée, envie de flâner dans le froid, la tête haute, sourire tranquille, j'avais gagné dix centimètres, j'avais vingt ans de moins, bien dans mon âge, dans mon corps, dans ma tête.
Le ciel ne m'est pas tombé sur la tête : je dirais au contraire qu'il s'est élevé, éclairci. Mon espace vital a grandi.
Je ne me leurre pas : la route est encore longue, mais l'avancée belle, tellement belle ! Quel magnifique signe d'encouragement !
Merci
Anne

mardi, février 03, 2009

Anne

La lecture de votre livre sur les souvenirs m'a amenée à visiter votre blog
Merci de votre investissement à décrypter, comprendre, expliquer comment (dys)fonctionne l'humain.
Avec toute ma sincérité
Anne

1 Ecole maternelle : merci mon chien
Enfants rangés dans le couloir
Souhait de plaisanterie
Claque pour insolence

J'avais 4 ou 5 ans, j'étais à l'école. Dans le cadre d'une activité inhabituelle qui ne me revient pas aujourd'hui, nous avions été, filles et garçons, installés assis par terre, le long du couloir. Un gros tuyau allait d'un radiateur en fonte à l'autre dans le bas de notre dos. La maîtresse est passée dans le couloir distribuer à chacun un bonbon à l'anis.
La maîtresse, contrariée, s'arrête devant un camarade et lui dit "Merci qui ? Merci mon chien ? "
Un merci timide a dû sortir de sa bouche, mais je ne me souviens plus. Ce que je me rappelle, c’est ce que j'allais répondre, peu après, quand ce serait mon tour, fière de faire un trait d'humour, une blague, quoi.
Une claque cuisante se fit l'écho du tac au tac de mon " merci mon chien ! ", une claque pour insolence.
La maîtresse, directrice de l'école, était ma mère.
Parole spontanée non comprise, rejet de l'idée que je peux avoir un comportement particulier, identifiable, non conforme à la norme établie. Je suis sortie du rang : ce n'était pas convenable.


2 Noël en Suisse : 2° fer à repasser
Déconvenue
Pleurs
Echange avec une cousine grâce aux oncle et tante

J'avais 5 ou 6 ans, j'étais en Suisse, chez mes grands parents paternels. C'était au Nouvel An, des cousins et cousines étaient présents avec leurs parents. Lorsque j'ai ouvert le cadeau de Noël offert par mon oncle et ma tante, déception et pleurs : un 2° fer à repasser !
Je me souviens du sentiment de culpabilité engendré par ma mère qui refusait que je ne sois pas satisfaite, qui ne voulait pas m'entendre me plaindre devant les autres. La solution et l'écoute sont venues de ma tante qui, avec bienveillance, a proposé que j'échange mon cadeau avec celui d'une de mes cousines.
Sentiment d'être trahie, abandonnée, par ma mère, d'être insignifiante à ses yeux : une autre qu'elle trouvait une solution d'apaisement.


3 Jeux derrière l'école
Vélo sur les cailloux et chute
Dinette dans l'herbe
linge qui sèche
Thérèse C.
Vacances, parfois le mercredi

J'étais enfant, les activités décrites ci-après ont pu se dérouler de l'âge de 3-4 ans vers l'âge de 12-13 ans.
Derrière l'école (nous ne pouvions aller dans la cour goudronnée : c'était interdit par ma mère), je faisais du vélo dans le chemin caillouteux. Souvent je suis tombée, j'ai pleuré, les genoux en sang. L'eau oxygénée nettoyait, mais piquait tout de même, alors je pleurais fort, mais jamais je n'ai entendu de petit mot de réconfort, de compréhension : rien pour accompagner ma douleur, même si elle n'était que passagère et les plaies bénignes. Ce que je me rappelle, c'est la demande pressante de me taire, de ne pas pleurer : le refus de ma douleur.
D'autres fois, le linge séchait sur les fils tendus sur la longue plage herbue (il ne fallait pas aller y jouer, dans le linge propre). Je jouais à la dinette avec la fille de la femme de ménage, de 2 ans mon ainée, la seule autorisée à venir jouer avec moi derrière l'école.
C'était les vacances, ou certains mercredis. C'était des moments heureux.


4 Chute avec mon manteau blanc
Manteau du dimanche
Sortie exceptionnelle, lac de Genève
Drame du manteau jamais mis devenu boueux en quelques secondes

J'avais 3 ou 4 ans, c'était un Dimanche. Mes parents sortaient peu mais encore de temps à autres, à cette époque : nous étions, endimanchés, au bord du lac de Genève. Mais c'était l'hiver. Et je suis tombée dans la terre (la boue peut-être ?) avec mon manteau blanc (du Dimanche !). Ce manteau que je ne mettais jamais. Et pourtant qui fut si vite sali !
Déception de ma mère, reproches d'avoir chuté avec mon manteau blanc.
Souvenir d'enfermement. Enfermement dans un système contraint par des règles (il ne faut pas …), enfermement dans ma tête : je suis tombée (et donc vexée de cet échec), mais la seule chose importante au yeux de ma mère, c'est la blancheur du manteau : rien d'autre n'est à retenir de cet épisode et si d'aventure un ressenti m'envahissait que j'aurais eu besoin d'exprimer quant à la chute, quant à la réelle valeur de la blancheur du manteau au regard de mon être, je le garde, je l'enfouis dans ma tête, je ne lui prête pas même des mots, je n'ai pas le droit.


5 Cousin et cousines lors des fêtes
Théâtre drôle

J'avais 4, 5, 6, 7 ans, pendant les "petites vacances", nous allions passer la journée chez mon oncle et ma tante. Il y avait mon cousin, mon frère, deux cousines, filles d'un autre oncle. Nous jouions dans la chambre de mon cousin : les garçons de 3 à 5 ans nos ainés, animaient des personnages, petites figurines diverses, derrière le bureau qui servait de castelet. Nous, les filles, nous riions bien volontiers et à gorge déployée.
Pas de parents, moments libres et heureux.


6 Dimanches après-midi
Cousin
Théâtre de viol
Atmosphère feutrée
Insistance et tout à la fois délicatesse

J'avais 8, 9, 10, 11, 12 ans ? Cette même chambre, de nombreux dimanches après-midis, mon frère absent, travaillant à la maison, atmosphère feutrée, lieu de lecture des Astérix (il n'y en avait pas à la maison : première entorse au règlement !), une insistante délicatesse, a été le théâtre du viol.
Vol de candeur, mise en jeu de ma complicité, de ma culpabilité, de ma responsabilité, de mon désir. Tout a été fait dans la douceur, la fermeté, l'insistance douce, l'engagement au silence, le secret que l'on ne dévoile pas parce qu'il entre dans le domaine des interdits réalisés au nez et à la barbe des parents. Je me trouve entraînée dans des séances répétitives, que je finis par solliciter, même. Quelle adresse ! La victime devient son propre bourreau, responsable de sa propre détresse !
Rien n'était réellement désagréable : c'est d'autant plus difficile de s'affirmer victime, prisonnière de connaissances sexuelles que l'on enferme devant la famille, mais aussi devant les camarades de classe (filles ou garçons) avec lesquels les relations sont irrémédiablement faussées, et finalement inexistantes.
En effet, comment converser, sans attirer l'attention, sur des sujets que l'on n'est pas sensé connaître, mais dont on a maintenant une expérience confirmée ?
A la maison mon frère a, à son tour, tenté une approche : j'y ai répondu favorablement. De cela, je me sens coupable. Même si, trente ans plus tard, le thérapeute m'affirme que je suis la victime, que mes bourreaux ont usé de leur ascendance, de leur identité de "grand", et à ce titre de leur position de détenteur de la vérité (merci maman !).


COMMENTAIRES

L'enfermement dans lequel je me suis isolée du monde qui m'entoure est aujourd'hui bien dur à percer. Je n'ai pas vécu car isolée du monde par ma mère. Je n'ai pas vécu car isolée du monde par moi-même. Par mimétisme aussi : ne pas déranger les voisins, ne pas faire de bruit, ne pas bouger, ne pas s'exprimer, se taire, se taire, se taire, SE TAIRE. Se taire et plaire, au moins à sa mère.

Et pourtant, lui plaire est si difficile ! Ce que je fais n'est jamais bien, toujours imparfait. Et pourtant, je cherche à lui plaire, encore aujourd'hui ! Tout au moins, la décevoir le moins possible, chercher une accroche, un compliment, un geste complice, une approbation.

Aujourd'hui, lorsque je reste effacée, c'est d'abord pour écouter les autres, apprendre des autres, ce que je n'ai pas pu faire avant. Mais c'est aussi me mettre en retrait, me bâillonner un peu plus, alors que mon besoin est celui d'avoir des relations équitables. Je continue de m'isoler dans mon monde alors qu'il est grand temps de vivre !

Mon fils est là, qui doit grandir, et que je ne peux brimer. Oh, oui, c'est évident, les manies maternelles ressortent, dès qu'elles le peuvent, ancrées en moi, engrammées, perturbantes, sources de violences (verbales, gestuelles), de conflits, tout ça pour … ………RIEN.
Et les collègues, avec lesquels tout est difficile, car rien n'est dit, car tout reste intériorisé, rien ne sort, rien ne transparaît, rien ne peut transparaître, rien ne doit transparaître. Tout ça pour quelques RIENS.

Aujourd'hui, je m'ouvre, lentement, image noire, grise, anthracite, sorte d'œuf-fleur de béton et d'acier, chose noire, grise, sale, chose qui s'ouvre, lentement, assurément, difficilement, sans grincer, qui progresse, qui stagne puis avance encore.


Ma difficulté à parler, à dire, à m'exprimer, est certainement la même que celle de mes parents. Pourquoi ?
- Leur refus de prendre en compte mon histoire : lorsqu'un jour, il y a une vingtaine d'années, avec mon compagnon d'alors (avec lequel la relation amoureuse était particulièrement périlleuse), nous les avons acculés devant la vérité -enfin, une partie de la vérité : il était hors de question de sortir du cercle familial proche, de mon cousin il n'a pas été question-,
- leur besoin de réenfouir très vite cette blessure inimaginable à peine exhumée,
furent les témoins de leur incapacité à s'exprimer, à parler, à prendre du recul, à admettre que leur progéniture était sortie du "droit chemin". Déméritait-elle pour autant ? Ne nécessitait-elle pas, pour une fois, un peu d'empathie ?
Fallait-il vraiment, là encore, ne chercher qu'à revenir sur un chemin délimité, tracé, connu de tous, sans ombre, sans piège, sans embûche, dicible et visible par le voisinage et la famille, dans lequel l'habitude guide nos pas, nous conforte dans une situation où nous n'avons pas à "agir",
ou fallait-il attraper la balle au bond, prendre du temps, avoir le courage de sortir de sa "non action" et construire enfin quelque chose avec son enfant ?
Pas une once d'intérêt pour ce qui venait d'être dit : un seul empressement à tout vouloir masquer, cacher, taire, soustraire à la vue et au su des autres : "personne d'autre n'est au courant ?" Là, l'attitude de mon père est clairement celle dans laquelle je m'étais fondue et continue de me fondre depuis.

J'ai vécu longtemps avec l'idée que mes parents se moquaient bien de ce qui m'était arrivé, que certainement, ils préféraient mon frère, même si dans le même temps, je me persuadais qu'ils nous avaient éduqués avec les mêmes principes et qu'ils n'avaient pas réellement de préférence. J'ai très récemment interprété la réaction de mes parents : ils n'étaient pas prêts, ils ne sont pas prêts aujourd'hui encore, à affronter une situation qui les dépasse. Ils ne se sont pas rendus compte, ils ne se rendent pas compte aujourd'hui encore, que j'ai seulement survécu pendant 30 ans, et qu'un geste attentif, une parole compréhensive, le souci d'imaginer mon ressenti, quand ils ont su, m'auraient peut-être aidée à cheminer la tête haute dans la vie.

Anne