dimanche, décembre 31, 2006

Pouvoir me débarrasser de ce pesant fardeau

Bonjour,

Je suis une personne adulte traînant une mélancolie chronique. Néanmoins, mes proches me considèrent équilibrée, sensible et solidaire. Or, j’ai de tout temps la sensation que ma mélancolie pathologique ne provient pas de mon moi profond, de ma manière d’être, mais d’une quelconque autre raison étrangère à moi. À une époque, j’aurais voulu pouvoir me débarrasser de ce pesant fardeau qui m’ankylose à travers une psychanalyse, mais j’ai toujours attendu que l’occasion se présente spontanément au lieu d’aller la chercher.
Aujourd’hui, à ma cinquantième année, l’intérêt pour savoir d’où me provient cette mélancolie maladive m’habite de nouveau, d’abord pour savoir si elle peut s’expliquer ou d’une façon ou d’une autre s’estomper ; ensuite, pour savoir si elle est à l’origine de mes troubles présents.

Je vous raconte deux de mes souvenirs les plus traumatisants, dans l’espoir qu’ils puissent vous intéresser suffisamment pour me conseiller.

Je n’avais pas encore trois ans lorsque ma mère a décidé de m’emmener à l’école, malgré l’objection du centre qui ne prenait pas des enfants mineurs de trois ans. Dans les années 50, les crèches n’existaient pas dans mon petit village des Pyrénées. Finalement, le centre scolaire a accepté, et je me revois dans mon souvenir, la main dans la main de ma mère, devant un immeuble carré, énorme, et une douzaine de marches à grimper qui me parurent terrifiantes. Il faisait froid. Je tenais sagement la main de ma mère et je sentais mon cœur battre très fort dans ma poitrine, et une angoisse croissante en attendant que les portes s’ouvrent. J’espérais qu’un miracle ou une débâcle se produise pour que je ne doive pas rentrer dans cet endroit. Mais ma mère s’est retirée et m’a laissé au milieu d’un petit groupe d’enfants du même âge. La maîtresse nous a fait entrer, j’ai du escalader littéralement un pupitre sali et taché, devant nous s’élevait un tableau noir immense, et une enseignante pas gentille et à la voix nasillarde nous a demandé d’ouvrir un livre jaune qu’elle a mis devant chaque élève, avec des images enfantines en couleurs et de grosses voyelles noires qui semblaient me sourire, unique image apaisante de la journée, (peut-être précurseur de ma passion pour les lettres plus tard).
Les deux cours passés dans cette classe, je me les rappelle également mornes, gris et angoissants, et les images et les sensations qui me reviennent sont toujours aussi oppressantes, hormis le moment de la récréation, où un grand nombre d’élèves, filles et garçons, courraient après moi pour les « divertir » avec mes jeux originels, courageux, parfois empreints de bravades…
De ma scolarité dans ce centre jusqu’en sixième, je n’en garde que des mauvais souvenirs. Je fus un pitre et un cancre, seules échappées pour moi à une éducation répressive et incompréhensible en tous sens. J’en ai toujours voulu à ma mère de m’avoir conduite à l’école avant l’âge, ayant en plus une sœur aînée d’un an, élève modèle, et un frère aîné de dix ans, frère archi-modèle. Je n’oublierais jamais les humiliations vécues.

Le deuxième souvenir est peut-être cliniquement plus traumatisant, bien que personnellement plus bizarre et incompris, mais dans un premier moment moins angoissant. C’est un abus sexuel que j’ai subi à l’âge de 11/12 ans, comme tant de fillettes en subissent… Je ne vous dispense pas des détails : attouchements grossiers, de la part d’un oncle, sur mes seins naissants et mon sexe qu’il blessait, bousculades dans l’escalier avec baisse de culottes et enfouissement de sexe par derrière, lèvres endolories, mordues et forcées a entrouvrir…
Cela a duré deux ans, et mon sentiment en tout moment a été d’incompréhension, de dégoût, de timide repoussage (il s’agissait d’un adulte, quelqu’un de ma famille, censé m’aimer et m’éduquer), de refoulement quant à expliquer cela à personne. Je ne l’ai fait que bien d’années plus tard, au cours d’entretiens entre femmes, étonnée de voir qu’un grand nombre d’entre elles faisaient partie de ce groupe silencieux et soumis de fillettes ayant subi abus.

Voilà, je pourrais bien en chercher un troisième moins douloureux, comme vous le conseillez dans votre livre. Peut-être serait-il le jour où j’ai découvert en plein mois d’août le goût des framboises cueillies en haute montagne, et où il m’a semblé qu’inconsciemment je déclarais, ravie, que rien que pour ce goût-là la vie valait la peine d’être vécue ; ou bien lorsque pour la première fois on m’a offert une poupée en drap presque aussi grande que moi. Il me vient encore à l’esprit le plaisir que j’ai pris à l’embrasser, la mettre dans mon lit, lui raconter à l’oreille mes problèmes enfantins... Je devais avoir six ans, et cet extraordinaire cadeau me revenait pour me consoler d’une chute presque mortelle dans la rivière, alors que je défiais les copains à grimper aussi haut que moi la rampe qui nous séparait d’elle.
Merci
A.P.

lundi, décembre 25, 2006

Je n'ai jamais parlé de ce qui m'était arrivé

Bonjour à vous,
Quand j'avais 5 ans, avec une petite voisine, nous nous sommes déguisées en nous maquillant, rouge à lèvres , fard sur les paupières et talon aiguille que nous avait prêtées la maman de ma petite camarade. Sur l'instant, ma mère n'a rien dit mais en tant qu'enfant j'ai lu dans ses yeux comme un début d'orage. Je ne comprenais pas puisque je voulais qu'elle m'admire et que je me pensais jolie.
Dès que la petite fille est repartie ma mère m'a attrapée par les cheveux en vociférant en arabe. Puis elle m'a jetée à même le sol de la chambre et m'a déflorée à coup de talons aiguille. Je précise que ces talons était hauts, pointus, la pointe en fer comme on les faisait à l'époque. Elle m'a rouée de coups et mes hurlements ont fait accourir ma soeur ainée T. qui s'est mise à hurler en voyant le sang qui coulait entre mes jambes. D'instinct, elle a compris que c'était grave et que ma mère risquait de me tuer à coups de talons.
Ma soeur n'avait que 2 ans de plus que moi, mais elle a perçu que mère n'était pas dans son état normal. et a réussi à la tirer en lui criant qu'elle allait me tuer. Ma mère est sortie de la chambre en me traitant de saloperie de pute. A l'époque je ne savais pas que ce geste avait comme signification ultime parce que dans notre culture tout ce qui concernait l'entrejambe des femmes était nié et tu.
De ce jour; ma mère m'a maltraitée avec une rare violence, en me passant à l'eau froide ou à l'eau chaude. Elle m'enfermait aussi sous un escalier des jours entiers à tel point que je perdais la notion du temps. Elle ne me donnait à manger que le strict nécessaire, un bout de pain dur avec de l'eau. Parfois la nuit elle descendait cet escalier sur lequel elle restait assise. Moi j'essayais de ne plus respirer; de ne plus bouger; de faire comme si j'étais morte. En réalité je pense que je l'étais.
La maltraitance a perduré jusqu'à ce que mon frère B. en parle à l'école. J'ai été placée à la DASS.
Je n'ai jamais parlé de ce qui m'était arrivé. Je lis beaucoup et si j'ai lu moult histoires de viol, je n'ai jamais rien lu qui ressemble un tant soit peu à ce qui m'est arrivé. Et pourtant j'ai lu beaucoup de livres sur les camps de concentration, le non de Klara, l'Oiseau Bariolé de JerZy Koscinsky et j'en passe. Mais jamais je n'ai retrouvé cet acte barbare et primaire.
Voilà ce que je tais depuis toujours mais je ne voudrais mourir dans ce silence.
Merci de m'avoir lue.
S.